Communiqué de presse
Le Triage a décidé de poursuivre son engagement en restant sur le front de l’art contemporain
« Sur le Front »
Christophe Baudson, Marc Chevalier, Sandrine Fallet, Luc Léotoing, Florent Mattéi, Fatmi Mounir, Audrey Nervi, Jean-Rémy Papleux, Eric Tabuchi, Cédric Teisseire, Richard Tronson,
Commissaire : Cécile Marie
Exposition du 9 décembre 2003 au 29 février 2004
« Sur le front » : géographie de la peinture contemporaine.
L’exposition « Sur le front » rassemble des œuvres qui toutes invitent à un repositionnement et à une modification de notre lecture de l’image.
La frontalité comme langage plastique et critique contemporain, par le biais de médiums différents, réactive une lecture autre de l’image sur le front social et pictural. Elle devient action militante lorsqu’il s’agit de défendre des positions citoyennes, de même qu’elle dessine des frontières géographiques et temporelles dans l’espace pictural…
Le front pictural sur lequel s’engagent Audrey Nervi, Eric Tabuchi, Mounir Fatmi, Sandrine Fallet, est avant tout social. Ils inventorient des territoires et de manière frontale bousculent nos codes de lecture du champ social. Par juxtaposition, superposition et déplacement, l’ensemble des artistes se réapproprient des codes picturaux et permettent à l’image d’entrer en résistance.
Chacun nous invite à reconsidérer de manière frontale notre rapport à l’espace privé, à l’espace public, et au système de consommation. L’installation de Sandrine Fallet, présente trois immeubles posés sur des roulettes comme des caddies, emblèmes d’une trilogie dans laquelle les individus équivalent aux produits de consommation.
La série Z.A.T (Zone d'Autonomie Temporaire) réalisée d'après des photographies prises lors de free party ponctue le travail d’Audrey Nervi depuis trois ans. Sans souci documentaire réel, les peintures d’Audrey Nervi sont avant tout des zooms sur le monde tel qu'il lui apparaît.
Mounir Fatmi tisse de nouveau lien entre les communautés, la question de l’autre est un élément central de son projet. Il fonde son travail sur la question de la liberté d’expression et le pouvoir médiatique des images. Son travail consiste à libérer ces images, en se situant sur le front de l’humanisme.
Eric Tabuchi utilise le médium photographique pour interroger les notions d’hybridité et de métissage. Il construit une nouvelle identité dans une installation murale qui mêle plans, surfaces et strates géologiques des territoires.
Le front pictural sur lequel s’engagent Christophe Baudson, Jean-Rémy Papleux, Richard Tronson, Florent Mattéi, Luc Léotoing et Cédric Teisseire, prend toute sa valeur dans une historicité de l’espace pictural.
Christophe Baudson déplace les frontières : il pixellise les images en peinture, importe les images du réseau sur celle de sa toile, et couple ces images de femmes avec un monochrome blanc. Les titres de ses dyptiques « Les filles…peinture à forte sexualité », « robe rouge » traduisent cette dualité à l’œuvre dans cette peinture où tous les glissements sont possibles.
Jean-Rémy Papleux et Richard Tronson, l’un en peinture, l’autre en photographie sont résolument tournés vers une approche singulière de l’individu. Jean-Rémy Papleux dans ses tableaux mêle image-temps et image-mouvement et donne à ses portraits qui nous font face une densité qui, s’il s’agissait d’un genre cinématographique pourrait être qualifié de dramatique. Richard Tronson, est à la frontière de la cohérence, il nous livre des images qui perturbent notre lecture classique de l’espace construit. Ses intérieurs suscitent trouble et inquiétude tant par ses personnages en suspension, enfermés et hors du monde que par les glissements de sens induit par une image construite avec beaucoup de faux-semblants.
Avec ses grandes « peintures » au feutre, Florent Mattéi propose une relecture ironique de l’histoire de l’art. Florent Mattéï aime la peinture comme on aime les belles images qui garnissent depuis toujours nos boîtes de chocolats bon marché de Noël. Sa série J’aime la peinture, ranime des tableaux historiques entre imagerie et idôlatrie.
Luc Léotoing et Cédric Teisseire usent de la frontalité comme outil visuel et conceptuel d’une nouvelle peinture abstraite. Luc Léotoing réactive en peinture des espaces qui ne lui sont a priori pas destinés. En offrant à la peinture une nouvelle géographie, il déplie à l’intérieur du Triage une peinture intitulée Hall over en symbiose avec l’architecture du lieu.
Cédric Teisseire développe une peinture qui s’inscrit dans les problématiques développées par l’histoire de l’abstraction. Sans profondeur, la laque épaisse posée sur des toiles cirées crée des surfaces frontales et réfléchissantes. Cette œuvre prolonge la question de la frontalité au-delà du tableau en abordant la peinture et ses débordements.
A la rencontre de ces deux fronts, dans l’espace de l’exposition, l’œuvre de Marc Chevalier est le lieu d’un questionnement tant sur la composition de la peinture que sur la constitution d’un territoire. Des lignes de fuites dessinées par les adhésifs aux lignes de front dessinées par celles de chars aux combats, l’espace de ces peintures entièrement réalisées avec du scotch nous ramène à la question de la dissolution esthétique ou politique d’un territoire.
Frontalité d’une peinture qui témoigne d’une contamination entre des territoires picturaux et politiques, L’exposition « Sur le Front », propose de situer l’être de la peinture en inscrivant son Histoire dans une Géographie. La peinture est territoire de la pensée.
Cécile Marie, commissaire de l’exposition
Exposition collective. 2 PIECES CUISINE. Paris. 2002
Photographies aux ambiances ambigües , les oeuvres de Richard Tronson agissent sur la frustration du spectateur dans sa capacité à appréhender distinctement l'image. Image à tiroirs , à choix multiples , faite de sens plutôt que d'un sens unique , formule en suspension aux solutions aléatoires , elle est volontairement déficitaire du point de vue de sa signification ;un manque d'informations qui laisse entrevoir néanmoins le concept de l'attente. Si le thème des Intérieurs (2000) avait élu domicile dans des espaces anciens ,maison bourgeoise XIXe ou univers années 30 , la série 12+12 simplifie le décor , le réduisant à sa plus simple expression : un canapé noir seventies devant un mur blanc Un espace sobre dans lequel coexistent le plus souvent deux personnes sans pour autant communiquer , chacune d'elles suivant sa propre trajectoire , ignorante de l'autre , avec un accessoire du quotidien , bol , tasse , livre ou journal pour seul lien au réel. L'ensemble de l'icône ne constitue pas pour autant une signification évidente pour sa compréhension. Les photographies apparaissent plus comme des squelettes d'images: un début de forme pour une sensation d'inachevé. A l'intérieur de ceux-ci ,les personnages remplissent la totalité du cadre; ombres chinoises ils font signe .Parmi ces pictogrammes vagabonds , seule la masse imposante du canapé immobilise l'attention ; il règne en maître des lieux. De simple support d'assise il prend multiples fonctions; tantôt barque , civière trône ou palissade , suivant l'attitude de l'occupant qui en détourne le sens. L'objet est détourné de son sens comme le formule Jean Baudrillard lorsqu'il analyse le quotidien. Portes ouvertes sur l'imaginaire ou décrochement involontaire du réel , la série 12+12 regroupe 24 propositions,24 esquisses d'images, sans logique apparente.
Paul Ardenne
Richard Tronson, l’image déviée Image indolore X, 2000 : la vue d’un jardin dans la cour intérieure d’un monument historique. Un puits, en ce jardin. Devant ce puits, à genoux, pour seuls vêtements une très ordinaire culotte de coton et des chaussettes, une jeune femme à genoux, un sac en plastique sur la tête. Que fait-elle là, en ce lieu, et à quelles fins ? Impossible d’en savoir plus. Intérieur I, 2000 : deux personnages debout, face au mur d’une bibliothèque, tournent le dos au spectateur – précisons : une fausse bibliothèque (il s’agit en fait d’un papier peint imitant des rayonnages de livres). Sur la partie gauche de cette image couleur parfaitement cadrée, une femme mi-nue, les mains en appui sur le couvercle refermé d’un clavier de piano. Sur la partie droite, un homme en blouse blanche, mains dans les poches. L’homme et la femme ne se regardent pas, étrangers l’un à l’autre. La raison d’être de cette rencontre factuelle entre deux êtres où rien ne vient porter à communication et où tout sonne faux ? Là encore, on n’en saura pas plus. L’ennuyeux, c’est de tout dire, arguait Voltaire.
Un imaginaire sibyllin L’imaginaire de Richard Tronson, de prime abord, penche pour l’insolite, l’inexplicable, le bizarre. Tout en effet, ici, n’est pas dit, l’explication se présentant de manière ostensible comme déficitaire. Dès son renoncement, avec les années 90, à la peinture puis son passage à la photographie, Tronson n’a ainsi de cesse de produire des images curieuses, qui étonnent. Le principe présidant à une série photographique telle que les Médicalisations (1997), par exemple, doit à la superposition par transparence d’images de fragments de corps humains et de radiographies d’origine médicale. Élaborées de la même manière, les Naturalisations (1998) soumettent l’image du corps à celle de fragments de nature tels qu’écorce, brindilles ou algues photographiées. Usant elles aussi de la superposition d’images et de la transparence, les séries de photographies Sex Progress et Incarnations (1999) unissent dans de mêmes énoncés plastiques, qui des vues du corps humain et des photographies prises à la morgue, qui des vues de morceaux de viande et des clichés de sexes accouplés, de caractère pornographique. Où l’on pourrait attendre d’une démarche artistique prenant le corps pour sujet une présentation évidente et un énoncé clair, c’est bien l’inverse qui est offert à l’œil comme à l’esprit du spectateur. Le corps n’est pas donné à voir tel qu’en lui-même. L’artiste, au contraire, le présente contaminé, ajouté à d’autres matières, comme encombré par celles-ci, avec ce résultat : pour le spectateur, c’est l’indéfinition qui prévaut ou, à tout le moins, le refus de livrer d’un même tenant l’image et sa signification.
L’exploitation du feuilleté qualifiant les premiers travaux plastiques de Richard Tronson n’est certes pas anodine. L’artiste joue-t-il de l’accumulation, mettant sur le même plan des vues non convergentes, sorte de sanctification hérétique du plus ou de l’avec ? Autant dire qu’il démultiplie le sens de l’image et, ce faisant, qu’il l’égare, ouvrant jusqu’à l’excès la proposition, le spectateur se découvrant mené à son corps défendant vers une direction énigmatique ou incertaine. À quelles fins de la chair humaine et des formes végétales ? Dans quel but, et pour servir quelle cause, la photographie d’organes humains mariée à des planches radiographiques glanées par l’artiste à l’hôpital même ? Dans un seul cas, celui de Sex Progress, il y a une cohérence lisible à cette superposition d’images et au recours à la transparence : la viande et la scène pornographique, s’agissant de Sex Progress, rien là qui ne choque ou ne soit à même d’être fondé en réciprocité. L’amour physique comme retour à l’animalité, à l’instinct, au plaisir prédateur que l’on prend sans frein. Encore que la brutalité de la proposition, sa crudité littérale et, sans doute, violente jusqu’à l’esbrouffe ne vienne donner le change, une fois encore. Au juste, l’artiste se joue de nous, il nous offre à voir ce que nous avions toujours pressenti, nous obligeant à nous interroger non pas tant sur l’image que sur ce que nous aimons trouver dans une image.
Aberrations sciemment construites Les séries photographiques des Images indolores puis des Intérieurs (2000, 2001) se distinguent des précédents travaux de l’artiste par le retour à l’image ordinaire et l’abandon de la superposition. Cette fois, disons pour couper au plus court que l’on a à faire à des “ vraies ” images, parfaitement construites qui plus est, utilisant la couleur de manière équilibrée et presque neutre, d’une extrême précision de définition. Le format moyen de ces photographies, comme adapté à la vision humaine, induit la proximité naturelle du spectateur. Images attractives, en vérité, par leur apparence flatteuse déjà, sans omettre évidemment ce que celles-ci montrent : bribe d’histoire, fragment de récit, action en cours.
La caractéristique première des photographies récentes de Richard Tronson est à l’évidence la mise sur la sellette d’une scène. Dans chaque image, des personnages présents pour tenir un rôle, seuls parfois, en couple le plus souvent. La dimension théâtrale n’est jamais niée. Les modèles présents dans l’image, à l’évidence, ont pris la pose pour l’artiste. Cette femme nous tournant le dos, venue buter sur une porte fermée, par exemple (Indoor, 2000). Ou cet homme seul dans la coursive d’un palais, pensif, comme égaré, une bouteille de Champagne à la main et des espadrilles aux pieds (Intérieur 14, 2001). Tout pareil, ce couple singulier au pied d’un escalier, prenant un café, la femme tête roulée dans le col de son pull, l’homme en vis-à-vis d’elle tête baissée et accroupie sur sa chaise, comme en état de méditation (Intérieur IV, 2000). La construction délibérée d’un argument plastique qui repose sur une attitude bien précise des corps saisis dans l’image, attitude travaillée où l’on sent que rien n’a été laissé au hasartd, et surtout pas la charade la qui va avec (mon premier est une femme adoptant telle ou telle pose ; mon second cet homme dans une posture toute différente, sans lien avec cele de la femme, etc.). Tout étant prêt en somme pour que le spectateur se demande avant tout autre chose : pourquoi ?
Ce “ pourquoi ? ” qui donne son assise à l’image, chez Tronson, considérons-le comme fondateur. Fondateur de quoi, en l’occurrence ? D’une modestie en termes d’approche de la vérité, tout d’abord. L’artiste, ouvertement, déclare qu’il ne choisit pas, s’inscrivant dans ce mouvement de l’art que le 20e siècle aura porté aux nues, celui du pyrrhonisme, de l’image qui doute. D’une dilection affirmée pour la mise en échec de la signification même, encore, le tout portant à un éloge à peine voilé de la relativité. L’artiste, à l’évidence, se défie de la signification ou, pour mieux dire, du sens que l’on serait tenté de mettre dans l’image. Les sens plutôt que le sens unique, tandis que l’on semble vouloir dire ici, à travers l’indécision qui préside à la lecture des images, la précarité de toute lecture, son subjectivisme fatal. Où la mise en exergue du “ pourquoi ? ” par Tronson rencontre sans contradiction l’aberration dont chaque image semble porteuse. Ce qui est aberrant, en substance, ce n’est pas seulement le contenu des images, c’est aussi le sens définitif et gelé qu’on pourrait être tenté de leur conférer.
Visible rejoué et fausses dialectiques Regardons un peu mieux ces images (le catalogue ci-après en donne une mesure bien plus probante que leur description), regardons-les donc, ces images toutes tissées d’insolite, ne serait-ce que pour vérifier ceci : toutes mettent en scène une contradiction interne. Entre les gestes ou les attitudes des protagonistes photographiés, par exemple, qui semblent toujours loin des nôtres, à rebrousse-poil de nos attitudes stéréotypées. On songe d’ailleurs fréquemment à un univers de fous, d’êtres bizarres, somnambuliques, arrachés à la logique des conduites ordinaires (ce qu’accentue d’ailleurs le fait que nombre de photographies élisent pour cadre l’hôpital). Autre contradiction interne : le contredit visuel entre un univers toujours repéré où s’ébattent les personnages, qu’il s’agisse de l’hôpital, de la maison bourgeoise ou d’arrière-salles, et la position qu’y adoptent ces personnages mêmes, de manière invariable en rupture. Autre contradiction enfin, d’ordre esthétique celle-ci : la parfaite lisibilité de l’image en termes plastiques n’a d’égale que l’imparfaite appréciation de l’action qui s’y trame. Écart évidemment calculé par l’artiste, et venant marquer la limite entre la cohérence propre au monde de l’image et l’incohérence qui préside à sa perception.
Ainsi l’équation suivante se donne-t-elle, ostensiblement présentée par Richard Tronson comme problématique : lieu repéré mais action non repérée. Homogénéité du cadre mais altérité du contenu. Convergence mais différence. La contradiction, à dessein exploitée, l’est dans une optique consistant à jeter le trouble et à le faire savoir. Le visible est-il rejoué par l’artiste ? Mais c’est parce que le sens du monde, quant à lui, n’est jamais joué une fois pour toutes. Ce jeu avec le visible et son sens, sans nul doute, oblige par voie de conséquence à requalifier le statut que nous conférons à l’image. L’occasion de constater d’abord qu’une image ne prouve jamais rien, sinon l’illusoire vérité du visible. L’occasion, encore, de mettre un bémol aux pouvoirs mêmes de l’image, ici relativisés avec force. Voir le caractère prétendûment “ dialectique ” de l’image, pour en inférer par les positions d’un Walter Benjamin, pour la circonstance rudement mis à mal. L’idée présidant au concept de l’“ image dialectique ”, c’est que toute image en convoque d’autres, se nourrit d’une antériorité autant qu’elle est appelée à nourrir une postérité d’images, bref, qu’elle s’articule dans un devenir plus que dans l’apparente fixité du signe inscrit. L’image, chez Richard Tronson, est bien “ dialectique ”, en apparence du moins. Les scènes d’hôpital évoqueront à bon droit les clichés pris au 19e siècle dans les instituts psychiatriques. Les expressions faciales des protagonistes mis en scène par l’artiste, toujours curieuses, ne sont pas sans rappeler de leur côté les portraits médicalisés de ses patients que réalisait Duchesne de Boulogne, en usant de la stimulation électrique, lors de ses expériences sur la réactivité du faciès humain, etc. Sachant que le caractère “ dialectique ” propre à l’image telle que Tronson la façonne ne s’articule de son côté sur rien de sûr. Sans doute les références que convoquent de telles images ne manquent-elles pas, mais saurait-on dire qu’il s’agit des bonnes, ou que l’artiste a tout fait pour que son spectateur les convoque ? Si la “ survivance ” (Nachleben) dont parlait Aby Warburg, par exemple, se retrouve sans conteste au principe des images que produit la Renaissance, revisitation inspirée du corpus esthétique antique et plaidoyer en faveur de l’image dialectique, rien ne garantit en revanche que le propos de Tronson ait à voir avec les expériences de la Charcoterie ou celles du premier béhaviorisme scientifique. Pas ici de “ survivance ”, tout en l’occurrence flotte, plutôt, le regard tend bien aux références que nous citons mais sans pouvoir se conforter du fait qu’elles sont opportunes, ou qu’elles sont en état de conjonction avec l’œuvre.
Atmosphère Un autre aspect flagrant des compositions photographiques de Richard Tronson à trait à l’atmosphère, à cette particulière spécificité qui leur est propre, irréductible. En tant que signe, l’image ne saurait se lire à l’aune de sa seule apparence. L’apparaître de l’image, s’il l’on peut dire, c’est son squelette, quand l’atmosphère dégagée par l’image, elle, d’une tout autre trempe, représenterait sa chair, son être authentique. Peu nous importe à cet égard qu’une vache traversant un salon bourgeois dans un film de Buñuel nous apparaisse sous la forme d’une “ image ”. Ce qui vaut, c’est l’insolite de la situation dont l’image vient rendre compte, une situation que tout aussi bien nous aurions pu rêver ou à laquelle nous aurions pu être confrontés de visu dans la réalité, génératrice d’un même “ effet ” d’atmosphère. L’image n’est pas pur signe mais charge, elle vaut par ce qu’elle emporte, par ce qu’elle vient engendrer par delà sa propre nature signalétique. L’erreur de l’objectivisme en art, à cet égard, réside dans la conviction que l’on peut effacer l’atmosphère de l’image pour ne laisser à celle-ci que son être morphologique, sa géométrie spécifique d’objet à regarder mais pas à ressentir. Les images de Richard Tronson, toutes d’atmosphère, ne sont évidemment pas sans renvoyer à un passé fécond de l’image ayant à dessein exploité ce que Nancy Spector a pu appeler l’“ indexique ” de l’image, comprendre : tout ce qui en celle-ci vient valoriser l’au-delà du visible, l’en-dehors de la figure, le hors-figure voire le hors cadre. Dans ce passé, on retrouvera l’empreinte, outre de la pittura metafisica italienne du début du 20e siècle, de nombre de compositions surréalistes, sans omettre certaines inflexions au cryptage de l’image que l’on pisterait sans trop de mal chez des artistes tels que Valerio Adami ou Xavier Veilhan, sinon chez un Balthus (celui du tableau Les beaux jours, par exemple). Dans tous les cas cités, l’image d’atmosphère produit un indéniable effet, cet effet se révélant dans ce cas tributaire de la Unheimlichkeit freudienne, cette “ inquiétante étrangeté ” qui nous saisit parfois au contact des choses les plus évidentes pourtant, nous éloignant brutalement de la compréhension du monde tout en nous y ramenant immédiatement. L’“ inquiétante étrangeté ”, que Freud développe dans ses Essais de psychanalyse appliquée, tire son argument d’une sensation où se mêlent l’incpmpréhension (je ne sais pas exactement ce qui m’arrive), le déplacement non maîtrisé des affects (je devrais aimer la situation dans laquelle je suis, ce qui n’est pourtant pas le cas), d’une incoercible mélancolie enfin (le monde m’échappe alors que je croyais le tenir). La délocalisation de la conscience qui en résulte suscite un état que caractérise le décalage, la gêne du corps même par rapport à son environnement sensible (“ Un jour où, par un brûlant après-midi d’été, écrit Freud, je parcourais les rues vides et inconnues d’une petite ville italienne […], je ressentis un sentiment que je ne puis que qualifier d’étrangement inquiétant… ”). Perte de la familiarité avec moi-même d’avoir perdu pied dans un univers que je croyais ou que je m’imaginais pourtant familier. Où le propos plastique de Richard Tronson, sans conteste, est unheimlich, c’est sans nul doute en ce que les images que produit cet artiste, sans exception, se révèlent assujetties à un principe de “ déviation ”. On parlera en effet volontiers, concernant l’art de Tronson, d’une esthétique de la déviation. Déviation ? Comprendre, selon le sens banal du terme, l’équivalent d’un itinéraire de substitution. Se confronte-t-il aux images que réalise cet artiste, toujours aussi familières qu’étranges, le regard ne peut aller droit au but. Impératif de contournement, d’allongement du temps de parcours de l’œil, qui se perd tôt ou tard en route, s’interroge, s’investit dans des “ histoires de l’œil ” (Bataille) voyant bientôt pulvérisés leur solidité comme leur fond de certitude. Manière de rappeller qu’une image d’art, au-delà du signe, c’est une histoire inachevée, à réinventer sans cesse, - tant le monde, à l’encontre de ce que prophétisait jadis Baudelaire, n’est pas près de finir.
PAUL ARDENNE.
Richard TRONSON, transformed images. Painless image X, 2000 : The view of a courtyard in an historical monument’s garden. A well in the garden. In front of the well, kneeling, for clothing, only cotton under wear and socks, a woman is on her knees with a plastic bag over her head. What is she doing there, to which purpose is she here? Impossible to know more. Interior 1, 2000: Two characters standing, facing a library wall, with their backs turned to the viewers. A single clue: The library does not seem real. ( It is in fact a wallpaper imitation of books shelves.) On the left hand side of the image, a woman half naked in what looks like a perfectly framed and neat composition. The woman has her hands placed on top of a closed piano. On the right hand side of the same image is a man dressed in a medical white overcoat with his hands in his pockets. Neither is looking at the other one, they are invisible strangers to each other. There is no apparent reason why these two beings should meet in this scene where communication is none-existent and where everything seems false. Nothing more is revealed, like Voltaire said “boredom is to explain all.”
A Creative mind Richard Tronson’s Muse at first sight leans toward the disturbing, confusing and the bizarre. In fact, the explanation for this presents itself overtly as a sense of “the absent”…As soon as the artist gave up painting in the early 90’s , he took up photography and started to produce a large amount of stunning and intriguing images. His early photographic work titled “Medicalized” 1997 shows superimposed images by transparency. The artist visually worked with medical radiographic images and fragmented pictures of the human body. Made in the same way, the series titled “Naturalised” 1998 offers to the viewer images of a dissected nature, replacing this time the human body by various samples of nature such as tree barks, straw and sea weed. The same technique was applied for the “sex progress” series as well as his “Incarnation” work both made in 1999. This time shots of the human body were taken and superimposed onto mortuary images as well as mixing images of meat and pornography. The body and the way the body is regarded is the artist main interest. The flesh is identified but not visually pleasurable it is contaminated and repulsive, somehow shameful.
A well thought aberration. The “painless” images and the “Indoor” photographic series (2000-2003) are all together a new set of work. This time the artist handles differently his objective, showing new photographs of short scenes, fragments of stories and actions in time. The main and new input of Richard Tronson’s work would be the realisation of a set and a scene. We can see at least one more often two characters, protagonists in the artist’s stories, scenes. The artist becomes director and creates theatrical scenes through photography. The actors of those still images are driven to what seams to be dysfunctional behaviour, lost attitudes with an overwhelming absence, lake of communication. Anachronism, quiet insanity, lack of exchange are the things that seem to qualify Richard Tronson’s work. In “ Interior”14, 2001 the artist presents a man inside a palace, lost in his thoughts, carrying a bottle of champagne and wearing sandals. The scene depicts luxury, indulgence with boredom and despair. In “Interior”4, 2000 in a similar way, shows two individuals at the bottom of a staircase and having coffee. The women has her head hidden under her sweatshirt and the man in front of her, head down is crouched in a ball on top of his chair. Located within social and cultural history these two individuals are behaving abnormally in a very extreme manner. The characters are some how trapped in their own feelings unable to reach out for each other. The constructed background reveals fragments of the past, places and history. Aesthetically the images are neat and clear where things are “correct” and well presented but the people wandering in those images often break the viewer’s expectations. The characters are shown confused, and inadequate, in anachronism with their environment facing breakdowns or major inner struggles. The artist raises problems of modern communication when individuals are confronted with a laden past, a loss of identity under the weight of history. How can modern individuals exist and reinvent themselves a world so marked by history? Where is the modern man‘s place when surrounded by so many ideas and places of the past. How can he or she be part of the picture, without disrespecting the past and still reaching out for the new? The artist reveals what he sees as an everyday struggle, the simple act of facing our fears and reaching out for each other when trapped in our own interior world, the existential dilemma of how to be part of the “whole”, to be in coherence with our surroundings.
Double meaning. Let’s look at those images; all of them embroidered with incomprehension just to verify the fact that they all depict an intense but subtle internal contradiction. Firstly between gestures and attitudes, the photographed protagonists always seem out of reach, detached from ordinary stratospheres and far from the world’s stereotypes. We could easily be thinking of an Alien dimension were bizarre beings appear on the edge of insanity. As if sleepwalking the characters are, it seems, taken away from normal behaviour, acting in a dysfunctional manner, forced to be in places they dislike. That is why the artist often chooses psychiatric units as a background. Another internal contradiction would be from an aesthetic point of view: when the images appear visually perfect, the artist traps the viewer by revealing disturbing and dysfunctional components. A world created on purpose by the artist to mark the gap between a certain understanding of the world or the given image followed by the incomprehension of a fully revealed image. The chance to show that images prove nothing. What is real in what we see? And is there more to understand than what is shown to us?
Atmosphere. An other striking aspect of Richard Tronson’s photographic compositions is the atmosphere that he creates. The unpredictable and unusual aspects of life, the scenes could almost be coming from dreams. A disturbing reality where people do not ostensibly possess feelings. Overall the images give of a strong sensation that could be compared to the Freudian idea of “Unheimlichkeit”, a distressing strangeness that can often take control of us when confronted to the true nature of things. Through his photographic work the artist takes the viewer to a brutal journey in a world of incomprehension were his is rapidly sent back to reality. The idea of a distressing strangeness that Freud develops in his essays on applied psychoanalysis gets its argument from a state of incomprehension.( I do not exactly know what is happening to me), the moving effect ( I should like the situation I am in, which is not the case) and also of an overwhelming melancholy ( I can not grasp the world even though I thought I had it all figured out). The consciousness delocalisation creates an atmosphere of marginalisation; the characters are put in a disturbing environment. (“One day on a warm summers afternoon, writes Freud, I was wandering around the unknown and deserted streets of a small Italian town [….] when I suddenly felt strangely worried). Loss of oneself in a place he thought he knew well. Richard Tronson’s work could easily be referred as “Unheimlich”, a redirected world. The artists photographic work is at the same time familiar and disturbing, the mind can never quite grasp the context in which the pictures are set. Like “Bataille” explained in his “History of the Eye” when seeing your certitudes scattered around, it is a way to remember that an artistic image is more than a sign; it is an unfinished story, open to endless reconstruction. A world where things are far from being finished.
Groupe show. Emplacement déplacement 4 . Galerie Anton Weller. 2001
RICHARD TRONSON
À la lueur d'étranges images à première vue difficiles à décrypter, l'univers de l'artiste pose le problème de la normalité. Bien qu'équilibrée et composée comme un tableau, la série des Images indolores (2000) déstabilise par son manque de lisibilité immédiate, un manque d'informations volontaire qui laisse entrevoir néanmoins le concept de l'attente. Monde étrange ambigu. Lieu fermé dans lequel se meuvent en toute liberté des êtres coupés du monde réel. Isolement volontaire, atmosphère sourde d'une clinique ou d'un hôpital psychiatrique… Espace sans repère, êtres insensés où médecins et patients curieusement identiques évoluent selon des codes et rites inconnus. Dans ces univers de transit, ils symbolisent le non-sens et la mise à demeure.
Avec la série des Intérieurs(2001-2002), le thème de l'attente perdure dans des espaces qui ont changé: l'hôpital est devenu sphère privée, le lieu de transit habitation , la signalétique décor. Les lieux sont toujours clos et les références au monde contemporain absentes :Vieilles bibliothèques, vitrines de musée, décor années trente…Une intrusion du passé, une revisite de ses vestiges qui nourrit l'idée qu'un peu partout ils renfermeraient encore quelques secrets. Face à de singuliers êtres vêtus de blanc ou de noir, l'œuvre agit sur la frustration du spectateur et sa difficulté à tout embrasser. Des arrêts sur images qu'il faut déchiffrer, des bouts d'histoire sans histoire, il est l'intrus devant un jeu aux règles inconnues, sorte de jeu de rôle dont il serait exclu. Etres bizarres , somnambuliques, qui déambulent dans l'image; renoncement au monde ou inadaptation à celui-ci…Comme dans la poésie chinoise le thème récurant de l'inadéquation est posé: la personne qu'il faut, mais au mauvais moment ou au bon moment mais au mauvais endroit.
SERIES Centre d’art contemporain Artère. Boulogne
A l'aide de l'imagerie médicale tout d'abord, (scanners, radiographies) le travail de Richard Tronson explore l'intérieur du corps humain. C'est la série des Médicalisations (1997) présentée dans des caissons lumineux . Avec les Naturalisations(1998), le corps est exalté grâce à la juxtaposition d'éléments issus des mondes végétal et minéral (algues, écorces, sable, brindilles…). Plus tard avec les séries Incarnations(1999) et Sex Progress (1999), c'est le monde animal qui est visité. La même année, le thème des Rooms referme l'enveloppe et pour la première fois donne à voir l'espace : décor clos d'un hôpital ou d'une salle d'attente. Un zoom arrière, une sortie du corps qui envisage le lieu et laisse percevoir un ou plusieurs êtres mis en scène. Etres bizarres, somnambuliques, qui déambulent dans l'image; renoncement au monde ou inadaptation à celui-ci… Comme dans la poésie chinoise le thème récurant de l'inadéquation est posé: la personne qu'il faut, mais au mauvais moment ou au bon moment mais au mauvais endroit.